Georges de Porto-Riche (1849-1930) a écrit plusieurs pièces de théâtre, dont Amoureuse, son plus grand succès, en 1891. L'extrait ci-dessous est une scène de ménage entre Étienne et Germaine, trop amoureuse de son mari et jalouse de son travail autant que des femmes qu'il a aimées avant elle.
Étienne : Quand je pense que j'en suis réduit à écrire mes lettres dans un café pour ne pas être questionné ; que j'en arrive à descendre dans la rue sans motif, sans but, pour me soustraire à ta tyrannie, par instinct de conservation ! Dieu me préserve de tomber malade, je serais ton prisonnier ! Jamais je n'ai vu une liaison pareille. Ma vie se passe à vouloir t'échapper, la tienne à vouloir me prendre. Que t'importent mes ambitions et mes rêves, tu n'y comprends rien. Quand puis-je travailler ici ? Toutes nos heures sont dévorées par des disputes et des réconciliations. Et pourtant mes mensonges écartent bien des tempêtes.
Germaine : Tes mensonges ?
Étienne : Oui, je mens souvent, je dissimule, j'altère un tas de choses.
Germaine : Pour avoir la paix ?
Étienne : C'est ta faute. Grâce à ta nature soupçonneuse, le mensonge est maintenant installé dans mon existence, et cela de telle façon que, si demain je prenais une maîtresse, je n'aurais rien à changer à mes habitudes.
Germaine : Ah ! Tu es le plus malheureux des hommes, je le reconnais, mais quand on est aussi lâche, on n'est pas à plaindre.
Étienne : Insulte-moi, si tu veux. Cette fois, tu n'exploiteras pas ma colère, je t'en préviens ; tu ne réussiras pas à en tirer un repentir caressant, une heure de lâcheté amoureuse. Au surplus mon emportement est un détail et toutes tes larmes ne changeront pas les choses ; ce qui est grave, ce n'est pas ce que je dis, c'est ce qui est. [...]
Germaine, éclatant : Mais, misérable ! tu savais que je t'aimais, il ne fallait pas m'épouser.
Étienne : J'ai eu tort.
Germaine, avec douleur, avec indignation : Tu avais plus de trente ans, j'en avais vingt. On réfléchit, surtout quand on doit être aussi implacable. Je t'ai dit que je t'adorais ; pourquoi m'as-tu prise ? Pourquoi as-tu été bon et faible ? Pourquoi m'as-tu laissée croire à ton amour ? Pourquoi m'as-tu menti, trompée ? Pourquoi n'as-tu pas été cruel tout de suite ? Pourquoi as-tu si longtemps attendu pour m'apprendre la vérité ?
Étienne : J'ai eu tort.
Germaine : Mais voilà. Tu n'es qu'un vaniteux au fond, un homme à femmes. Tu voulais être aimé.
Étienne : Oui, mais pas tant que ça !
Germaine : Je t'ai donné plus que tu ne demandais !
Étienne : Justement.
Germaine : Pauvre homme ! Je t'aime trop et tu ne m'aimes pas assez, voilà mon crime.
Étienne : Voilà notre misère.
[...]
Germaine : Ah ! quelle misère d'aimer !
Étienne : Ah ! quel supplice d'être aimé !
C'est par ces deux exclamations que se termine le deuxième acte de cette pièce.
Après avoir tenté de tromper son mari, sans cesser de l'aimer, Germaine le verra revenir à elle. «Tu seras malheureux», lui dit-elle. «Qu'est-ce que ça fait ?» répond-il, fataliste.
Suzanne Valadon (1865-1938), Les deux chats (1918)