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15 mars 2011 2 15 /03 /mars /2011 10:00

TROISIÈME ÉPOQUE

3 juin 1795 - 4 août 1796

 

Quoique je n’aie point à traiter ici de ce qui se passa pendant quinze ans entre Mme de Malbée et moi, je ne puis toutefois me dispenser de parler en détail d’une femme, dont le caractère et les passions, le charme et les défauts, les imperfections et les qualités furent d’une si grande importance pour le sort de Cécile et pour le mien. Lorsque je rencontrai Mme http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/1/11/Madame_de_Sta%C3%ABl.jpg/250px-Madame_de_Sta%C3%ABl.jpgde Malbée elle était dans sa vingt-septième année. Une taille plutôt petite que grande, et trop forte pour être svelte, des traits irréguliers et trop prononcés, un teint peu agréable, les plus beaux yeux du monde, de très beaux bras, des mains un peu trop grandes, mais d’une éclatante blancheur, une gorge superbe, des mouvements trop rapides, et des attitudes trop masculines, un son de voix très doux, et qui, dans l’émotion, se brisait d’une manière singulièrement touchante, formaient un ensemble qui frappait défavorablement au premier coup d’œil, mais qui, lorsque Mme de Malbée parlait et s’animait devenait d’une séduction irrésistible. Son esprit, le plus étendu qui ait jamais appartenu à aucune femme, et peut-être à aucun homme, avait, dans tout ce qui était sérieux, plus de force que de grâce, et dans ce qui touchait à la sensibilité, une teinte de solennité et d’affectation. Mais il y avait, dans sa gaîté, un certain charme indéfinissable, une sorte d’enfance et de bonhomie, qui captivait le cœur, en établissant momentanément entre elle et ceux qui l’écoutaient une intimité complète, et qui suspendait toute réserve, toute défiance, toutes ces restrictions secrètes, barrières invisibles que la nature a mises entre tous les hommes, et que l’amitié même ne fait point disparaître tout à fait. Mme de Malbée vivait depuis à peu près un an en Suisse, où la Révolution l’avait engagée à se retirer. Élevée dans la société la plus brillante de France, elle avait pris une partie des formes élégantes de cette société ; elle avait surtout cette habitude de louer qui distingue les Français de la première classe. Son esprit m’éblouit, sa gaîté m’enchanta, ses louanges me firent tourner la tête. Au bout d’une heure elle prit sur moi l’empire le plus illimité qu’une femme ait peut-être jamais exercé. Je me fixai d’abord près d’elle et chez elle ensuite. Je passai tout l’hiver à l’entretenir de mon amour. Au printemps de 1795, je la suivis en France. Je me livrai avec toute l’impétuosité de mon caractère et d’une tête plus jeune encore que mon âge aux opinions révolutionnaires. L’ambition s’empara de moi, et je ne vis plus dans le monde que deux choses désirables, être citoyen d’une république, être à la tête d’un parti. L’ascendant de Mme de Malbée ne fut cependant point diminué par cette ambition, bien qu’il la contrariât quelquefois. Ce n’est pas que Mme de Malbée ne partageât mes opinions et ne s’associât à mes espérances mais son imprudence, son besoin de faire effet, sa célébrité, ses liaisons nombreuses et contradictoires, armaient contre elle toutes les défiances. Les chefs de la France républicaine, hommes violents et grossiers, ne pouvaient croire qu’on adoptât leurs principes, si l’on n’adoptait pas leurs haines dans toute leur férocité. Ombrageux par caractère, et soupçonneux par situation, ils ne considéraient comme leurs alliés que ceux qui se faisaient leurs complices : et Mme de Malbée, malgré ses efforts pour les captiver et par ces efforts mêmes, leur était suspecte : et leurs soupçons rejaillissaient sur moi. J’en souffrais beaucoup : j’aurais donné la moitié de ma fortune et dix années de ma vie pour faire éclater mon dévouement à une cause dont j’étais peut-être le seul partisan de bonne foi. Cependant Mme de Malbée conserva toujours sur moi son pouvoir. Je revins avec elle en Suisse, quoique ce voyage interrompît le travail que j’avais commencé à faire pour jouer un rôle en France. Ce fut à mon retour qu’après plus d’un an d’intervalle durant lequel je n’avais pas prononcé ni entendu le nom de Cécile, je trouvai une lettre d’elle, mais fort ancienne. Car je n’arrivai en Suisse que le 25 décembre 1795, et cette lettre était du 3 juin. Cécile me l’avait écrite de Constance, où elle avait passé quelques jours, en faisant un tour de Suisse. Elle me supposait à Lausanne, et m’invitait à l’aller voir. L’image de Cécile se présentant subitement à moi, lorsque je m’y attendais si peu, me causa une extrême émotion. Je prévis bien qu’elle serait repartie : cependant je me hâtai de lui répondre et je répondis avec amour. Ma lettre ne la trouva plus. On ne la lui fit point parvenir, l’ébranlement passager que j’avais éprouvé à la vue de son écriture, se calma de lui-même, et je perdis de nouveau la trace de Cécile, que j’aurais pu retrouver en Allemagne, mais que je n’essayai pas même de découvrir.

 

A suivre 

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