SECOND TABLEAU
Philippe Jolyet (1832-1908)
La petite fille s'est endormie, trop fatiguée d'avoir posé toute l'après-midi et une partie de la nuit. Le peintre avait terminé son premier tableau et, voyant cette enfant abandonnée dans les bras de Morphée, il profita de cette bienheureuse immobilité pour peindre une deuxième toile.
A l'aube, il ne lui restait plus que le nœud rouge à poser sur les cheveux quand il entendit sonner le clairon de la caserne voisine — nous étions au début du XXe siècle dans une ville de garnison :
La fillette dormait toujours. A huit heures, le peintre avait fini son travail et voulut réveiller son jeune modèle pour lui faire admirer ses deux tableaux. Il remonta un réveille-matin et le fit sonner plusieurs minutes :
Mais en vain. A midi, il avait rangé son matériel et les deux tableaux séchaient sur leur chevalet quand l'horloge du salon sonna les douze coups :
Enfin la petite fille se réveilla, fraîche et dispose. Elle jeta un bref regard sur les tableaux et, sans un mot, sortit de la maison, pressée d'aller jouer avec ses amies. Quand elle rentra une demi-heure plus tard pour déjeuner avec ses parents, le peintre, un peu vexé de son indifférence, était parti, laissant les deux tableaux que nous pouvons admirer un siècle plus tard au Musée des Ursulines à Mâcon, chef-lieu du département de la Saône-et-Loire.